Le travail

« Si nous pouvions nous dépouiller de tout orgueil, si, pour définir notre espèce, nous nous en tenions strictement à se que l’histoire et la préhistoire nous présente comme la caractéristique constante de l’intelligence nous ne dirions pas homo sapiens mais homo faber. En définitive, l’intelligence envisagée dans ce qui parait être la demande originelle est la faculté de fabriquer des objets artificiels, en particulier des outils à faire des outils, et d’en varier infiniment la fabrication. »

« On peut distinguer les hommes des animaux par la conscience, par la religion ou par tout ce que l’on voudra. Eux-mêmes commencent à se distinguer des animaux dès qu’ils se mettent à produire leur moyen d’existence. »

Manuscrit :

« Supposons que nous produisons comme des êtres humains, chacun de nous s’affirmerait doublement dans sa production : soi même et l’autre. Premièrement, dans ma production je réaliserai mon individualité, ma particularité; j’éprouverai, en travaillant la jouissance d’une manifestation individuelle de ma vie, et, dans la contemplation de l’objet, j’aurai la joie individuelle de reconnaître ma personnalité comme une puissance réelle, concrètement saisissable et échappant à tout doute. Deuxièmement, dans ta jouissance ou ton emploi de mon produit, j‘aurai la joie spirituelle immédiate de satisfaire par mon travail un besoin humain, de réaliser la nature humaine et de fournir au besoin d‘un autre l‘objet de sa nécessité. Troisièmement, j‘aurai conscience de servir de médiateur entre toi et le genre humain, d‘être reconnu et senti par toi comme un complément à ton propre être et, comme une partie nécessaire de toi-même, d‘être accepté dans ton esprit comme dans ton amour. Quatrièmement, j’aurai dans mes manifestations individuelles la joie de créer la manifestation de ta vie, c’est-à-dire de réaliser et d’affirmer dans mon activité individuelle ma vraie nature, ma sociabilité individuelle. (…) Nos productions seraient autant de miroirs où nos êtres rayonneraient l’un vers l’autre. Dans cette réciprocité ce qui serait fait de mon coté le serait aussi du tiens. »

« Dire que le travail et l’artisanat était méprisé dans l’antiquité puisqu’ils étaient réservé aux esclaves est un préjugé des historiens. Les Anciens faisaient le raisonnement inverse : ils jugeaient qu’il fallait avoir des esclaves à cause de la nature servile de toutes les occupations qui pourvoyaient au besoin de la vie. C’est même par ses motifs que l’on défendait et justifiait l’institution de l’esclavage. Travailler, c’était l’asservissement à la nécessité, et cet asservissement était innérant aux conditions de la vie humaine. »