• Sully Prudhomme

    Le Vase Brisé


    Le vase où meurt cette vervaine
    D'un coup d'éventail fut fêlé ;
    Le coup dut l'effleurer à peine,
    Aucun bruit ne l'a révélé.

    Mais la légère meurtrissure,
    Mordant le cristal chaque jour,
    D'une marche invisible et sûre
    En a fait lentement le tour.

    Son eau fraîche a fui goutte à goutte,
    Le suc des fleurs s'est épuisé ;
    Personne encore ne s'en doute,
    N'y touchez pas, il est brisé.

    Souvent aussi la main qu'on aime
    Effleurant le coeur, le meurtrit ;
    Puis le coeur se fend de lui-même,
    La fleur de son amour périt ;

    Toujours intact aux yeux du monde,
    Il sent croître et pleurer tout bas
    Sa blessure fine et profonde :
    Il est brisé, n'y touchez pas.

     

    Un Songe


    Le laboureur m'a dit en songe: "Fais ton pain
    Je ne te nourris plus: gratte la terre et sème."
    Le tisserand m'a dit: "Fais tes habits toi-même."
    Et le maçon m'a dit:" Prends la truelle en main."

    Et seul, abandonné de tout le genre humain
    Dont, je traînai partout l'implacable anathème,
    Quand j'implorai du ciel une pitié suprême,
    Je trouvais des lions debout sur mon chemin.

    J'ouvris les yeux, doutant si l'aube était réelle;
    De hardis compagnons sifflaient sur leurs échelles.
    Les métiers bourdonnaient, les champs étaient semés.

    Je connus mon bonheur, et qu'au monde où nous sommes
    Nul ne peut se vanter de se passer des hommes,
    Et depuis ce jour-là, je les ai tous aimés.

     

    By Miss Naboo


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