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    Un amour de Terrine<o:p></o:p>

    Par Claire Delhomme.<o:p></o:p>

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    Chapitre 1

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      Viens, ça sera génial, tu verras !

     Tu parles ! Déjà, louer une baraque au fin fond de la campagne, ça ne me disait pas trop. Moi, au bout de deux jours de verdure à perte de vue, j’ai tendance à faire des overdoses de chlorophylle. Mais là, ça commence sérieusement à sentir le plan foireux à plein nez. Je suis dans train et dans quelques minutes, j’arriverai à Bourg-en –Bresse, où mes chers amis doivent venir me chercher. Sauf qu’ils viennent de téléphoner et il semblerai qu’il y est un petit changement programme : finalement ils ne viendront que dans trois  jours. L’excuse : bidon. La seule chose que je comprends c’est que je vais passer les premiers jours de ces vacances si prometteuses toute seule dans un village perdu au fin fond du néant campagnard. Génial…

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     Bien sûr, quand j’arrive à la gare, je ne trouve pas de taxi. Evidemment. Après avoir discuter avec le patron d’un troquet, il semble que le moyen le plus simple pour rejoindre le village d’indien où m’attend ma location –à soixante petits kilomètres d’ici- c’est d’attendre le lendemain matin et de partir avec la boulangère. Mais non, ça la dérangera pas, c’est une amie à lui, et elle adore discuter alors ça lui fera plaisir d’avoir un peu de compagnie. Bon, va pour la boulangère. De toute façon, vu l’heure, je n’ai pas trop le choix.

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     Le lendemain, après avoir passer une nuit dans un vieux Campanile, j’embarque à bord d’une vieille camionnette – à croire qu’ils ont rien de neuf  ici- avec la boulangère. Elle a l’air sympa, le problème c’est qu’effectivement elle aime parler. Beaucoup. Trop. Et en plus, il y a un petit détail que je n’avais pas capté : ce n’est pas elle qui m’accompagne au village, c’est moi qui l’accompagne dans sa tournée ! Donc au lieu de mettre une demi heure, il nous faut trois heures de route, le temps de passer par tous les hameaux de la régions. Comme c’est une gentille femme, elle a l’extrême amabilité de me faire l’historique de chaque clocher, de me retracer la généalogie de chaque famille et de me raconter les rumeurs de chaque coin de rue. J’aime les potins, mais savoir que Madame Simone a déchiré une carte postale le mois dernier puis a donné une claque à Marcel parce que son tracteur puait, très honnêtement, je n’arrive pas à m’intéresser, oui, même en faisait un gros effort. Enfin bon, au bout de trois heures qui en paraissent mille, et où j’ai vaillamment résisté à l’envie  d’arracher le pare soleil pour assommer mon chauffeur bavard, j’arrive sur la place de Poncin.

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     Ô joie, Ô bonheur. Me voilà comme Ulysse ayant enfin atteint les rivages d’Ithaque. Soulagée d’être enfin arriver, je remercie tout de même Martine. Mais mon bonheur est hélas de courte durée. Où suis-je tombé. Qu’ai-je fais pour mériter ça ? Moi qui ai du mal à survivre loin du métro, de la place Soufflot et du jardin des plantes ?? C’est une mauvaise blague ou une caméra cachée, mais je refuse de croire que l’endroit « trop coooool » choisi par mes potes soit ce village de quatre-vingts seize habitants dont soixante-treize du troisième âge ! Maintenant c’est sûr, je vais mourir.

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     Bon comme je suis super courageuse, je soulève quand même ma valise et je prends la première - et unique -  rue afin de trouver mon gîte. L’avantage, c’est que je risque pas de me tromper, il n’y en a qu’une seule avec l’affreux macaron « gîtes de France ».

    Sauf que je n’étais pas censé être la première ici. Donc je n’ai pas les clés… Là première angoisse. Il me faut bien dix minutes pour trouver un endroit où mon portable capte afin d’appeler mes amis pour avoir le numéro ou l’adresse du propriétaire. Ce qui signifie que je vais passer quelques jours seule au monde, dans un endroit où je n’aurais pas constamment cinq barrettes de réseau ! Je commence à avoir des sueurs froides . Respirer profondément. Je finis par obtenir une tonalité et à recuper le numéro. Une fois prévenu, le proprio ne met que quelques minutes à venir, faut dire qu’il habite dans le village aussi. Et la je découvre avec quelques appréhension l’intérieur de la maison. Tout d’abord la cuisine. Immédiatement ça va mieux. Il y a un four micro-onde donc je ne vais pas mourir de faim. Comble du luxe, je découvre ensuite une machine à café. Ma survie sera peut-être possible finalement…

    Comme il est déjà presque midi, je décide de continuer mon exploration après le déjeuner. Sauf que… le frigo est vide. Evidemment. Heureusement, face aux grands problèmes, je n’ai jamais eu peur de prendre les grandes décisions nécessaire. Je décide donc immédiatement de planter un potager. D’un côté, je mettrais les légumes et de l’autre, des herbes aromatiques en tout genre. Et je construirai une petite fontaine en marbre blanc. Et je pourrai élever quelques poules et des lapins. Et je ferais des tartes aux myrtilles.

    J’avoue, en fait, j’ai juste fini de manger le paquet de petits Lu que j’avais encore dans mon sac, un paquet entier de fraises tagadas – d’ailleurs ça écœure très vite  -  et un chewing-gum. Le tout arroser d’un grand verre d’eau. Les poules et la tarte attendra…

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    Voilà, ça c’est fait… Comment vais-je occuper mon après-midi moi ? Ici, sans voiture, sans réseau, sans ordinateur, sans personne ? Jamais à court d’idées, je prends ma valise et je commence à explorer mon nouvel intérieur. On appelle ça la « familiarisation avec le milieu hostile ». En premier, le salon. Rien de très intéressant, sauf un lecteur DVD. Mais je n’ai pas de DVD avec moi, évidemment. Puis des toilettes. A l’étage, quatre chambres et deux salles de bain. Je prends tout mon temps pour choisir la plus belle pièce, les premiers arrivés sont les premiers servit, et toc ! Je m’installe tranquillement, je vide ma valise, je retouche mon gloss., je vérifie l’absence de message sur mon répondeur… Il doit au moins être 14h là. Je vérifie avec espoir à mon poignet. 12h15. Et là, tout à coup, je ressens comme une vague de panique. A la campagne, le temps s’arrête pour moi. Je vérifie ce phénomène depuis que je suis toute petite. A chaque fois c’est pareil. Il suffit que je m’éloigne un peu des relais téléphone, qu’il y ait autour de moi trois champs et que je sois à moins  de deux cent mètre d’une vrai vache et là ça ne loupe jamais. Le temps s’arrête, l’air semble immobile et j’entends mon propre souffle. L’angoisse totale. J’ai du mal à respirer. J’ai besoin du contact de la civilisation. Tout de suite.

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    Chapitre 2<o:p></o:p>

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    C’est ainsi, avec la ferme attention de pactiser avec les peuplades de ces terres reculées, que je débarque dans la boucherie du coin. J’adore les gâteaux secs, mais de la à ne manger que ça pendant trois jours, il y a tout un monde. Et comme il est mille fois plus simple de commander un poulet dans cette petite boucherie local pour le dîner du soir plutôt que de courir après une volaille qui refuse de ce laisser attraper, chose que je comprends parfaitement, c’est là que j’atterrie. Tant mieux pour moi, cette boutique semble être le point de ralliement du village, là où tout se passe, là où ça bouge ! C'est-à-dire qu’au moment où j’arrive, il y a trois vieilles dames et le boucher qui discutent avec animation. L’une est assise sur une chaise, son cadis coller à elle. L’autre tiens dans ses bras un genre de caniche affreux qui aboie aigu. Je déteste les chiens et encore plus les caniches qui aboient aigu. La troisième, superbe dans sa jolie blouse fleurie très estivale, bouge avec conviction les bras dans tous les sens pour appuyer ses propos. Mais au moment où j’entre, j’assiste à un magnifique arrêt sur image grandeur nature. En une fraction de seconde, les trois arrêtent leur bavardage, se tourne vers moi et me passe au scanner intégral. C’est encore pire que lors d’un entretient d’embauche ! Faut dire que je ne dois pas avoir le look couleurs locales avec mes sandales compensées, mon sac à main top tendance et ma manucure nickel. Heureusement qu’elles ne savent pas que j’ai mon pass navigo dans une poche et un téléphone dernière génération dans l’autre. Puis, brusquement, comme si je n’avais jamais fais irruption dans leur monde, elles repartent de plus belles dans la critique gastronomique du dernier déjeuner de famille donner par la voisine, Madame Jeannine semble-t-il. Résignée à mourir d’ennuie debout, je passe en revue la boutique du regard. Elle a tout les détails du commerce de proximité villageois. A gauche de la porte, un grand bac remplie de paquets de chips en tout genre. Personnellement, je déteste ceux avec les goûts chimiques et bizarres genre « barbecue » ou « bolognaise » et pire encore « oignon ». J’ai toujours eu un problème avec les produits « goût oignon ». Une fois, lors d’un voyage scolaire en Angleterre, alors que j’avais vraiment faim, une fille m’a proposer un muffins que sa famille d’accueil lui avait donné. A l’oignon. Sauf que je ne le savais pas. Et les muffins aux oignons, ce n’est pas bon du tout… Une autre fois, sur un marché de Noël, j’avais pris une grande cuillère de confiture à la poire. Et surprise ! Je n’avais pas pioché dans le bon pot et j’ai avalé une grande bouché à l’oignon. Et la confiture à l’oignon, quand on attend de la poire, ce n’est pas bon du tout… Mais je m’égare là. Sur le même mur, il y avait des étagères avec des boites de paquets et des conserves. Tout le côté droit était occupé par la vitrine. J’ai toujours trouvé ça un peu écoeurant : les salades composés qui ne ressembles à rien, les pâtés en croûte, toutes ces… choses qui flottent dans de la gélatine brunâtre, et ces tranches de viandes sanguinolentes. Le pire dans tout ça, se sont les cervelles et les langues. Brrr… rien que d’y penser ça donne la chair de poule. Je relève donc assez rapidement les yeux. Comme dans presque toutes les boucheries du pays, il y un poster au mur avec un cochon en costume, qui rigole. Je ne comprend pas. Pourquoi ont-ils tous cet affreux poster ? C’est un cadeau offert pour « toute boucherie ouverte » ? Et bien sûr, sur le comptoir, il y un autre petit cochon, en céramique celui là et avec une fente sur le dos. Il y a-t-il vraiment des gens qui donne un pourboire à leur boucher ?? Je trouve l’idée étrange, après tout on n’en donne pas dans les grands magasins, ou quand on achète un tee-shirt… L’attente s’éternise, c’est-à-dire que j’attends plus de cinq minutes, ce qui est intenable pour quelqu’un qui, comme moi, viens d’une ville où quand on marche au lieu de courir c’est qu’on a rien à faire là, je tente de m’intéresser discrètement à la conversation.<o:p></o:p>

    « Parait que le p’tit de <st1:PersonName productid="la Jeanne" w:st="on">la Jeanne</st1:PersonName>, c’est le portrait craché de son père… c’est pas facile de commencer dans la vie avec un tel handicap…<o:p></o:p>

    - C’est surtout triste pour la mère ! Si au moins il avait eu ses yeux, mais non ! <o:p></o:p>

    - C’est comme Luc, le fils de Madame Bourdin, hier il a… »<o:p></o:p>

    L’anecdote me fait sourire. Le boucher le remarque, ainsi que mon exaspération grandissante. Ok, c’est parce que je pianotais des doigts sur le bord de la vitrine en soufflant un peu et en regardant en l’air. Mais bon, je n’allais pas rester ici, à attendre que les trois vieilles passent en revue toute la population du village, leurs descendances et les voisins des petits enfants ! Même si c’est drôle à entendre. <o:p></o:p>

    « Alors mademoiselle, qu’est ce qu’il vous faut ? »<o:p></o:p>

    Heureuse que ça soit enfin mon tour, je reprends mon sérieux.<o:p></o:p>

    « Un poulet rôti s’il vous plait.<o:p></o:p>

    - N’attristez pas votre front gracieux, continuez à sourire, c’est si joli. » Et il me fait un petit clin d’œil en commençant à emballer mon futur dîner. Je reste sans bouger. Je dois faire erreur, ce n’est pas possible. Non, sérieusement ?

    - Désolée, je rêve debout, mais merci, c’est gentil à vous…

    - Riez pourtant ! <o:p></o:p>

    - Du sort ignorez la puissance… »

    C’est à son tour de faire un grand sourire. Je ne rêvais donc pas. Ce jeune boucher, perdu au fin fond de la campagne, est en train de me réciter A une jeune fille de Victor Hugo. Je décide de le tester encore un peu, on ne sait jamais.

    « - Maintenant que Paris, ses pavés et ses marbres…<o:p></o:p>
    - Et sa brume et ses toits sont bien loin de mes yeux ;<o:p></o:p>
    Maintenant que je suis sous les branches des arbres…<o:p></o:p>
    Et que je puis songer à la beauté des cieux … »<o:p></o:p>
    Veni, vidi, vixi. Comme ça, sans hésiter, il complète les vers d’un poème si peu connue par la plupart des littéraires que je fréquente habituellement. J’en reste bouche bée. J’ai tellement du mal à y croire que je tente un dernier vers.<o:p></o:p>
    « Le rêve et la brume… 

    -Vont où va la nuit ;

    Paupières et roses

    S'ouvrent demi-closes ;

    Du réveil des choses

    On entend le bruit. 
    ».<o:p></o:p>
    L’aurore s’allume. Sans faute, sans oublier un mot. Cet instant est magique. Pour la première fois de ma vie, je rencontre un homme qui :<o:p></o:p>
    1)      sache du Victor Hugo  par cœur.<o:p></o:p>
    2)      Ait moins de cinquante ans et ne sois pas à moitié chauve.<o:p></o:p>
    3)      Ait un plan B dans la vie autre que chanteur, poète ou taggeur. <o:p></o:p>
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    Lui aussi à l’air content. Les trois vieilles, elles, sont muettes. On dirait trois statuts mais elles ne perdent pas un mot de la conversation. Je leur donne matière à causer pour les vingt prochains hivers.<o:p></o:p>

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